LABO # 1, JOUR # 3. Milgram, etc.


JOUR #3

17 mai 2012.

« Je me sens pas ultra-fluide… »

L’heure est au debrief de la veille.

Consciences, inconscients et subconscients ont eu de quoi faire.

Marine a fait des rêves :  « Je demandais à quelqu’un… ça ». Et de mimer un coup de poing dans son ventre.

Alex s’est bien interrogé sur son rôle de meneur de labo : « Je demande à des gens de faire du mal à quelqu’un et ils le font ».

Isona n’est pas en reste : « On me dis sois violente, je suis violente… On me dit d’être désagréable, je suis désagréable… »

Sous l’effet des problèmes de conscience collectivement éprouvés, on ne peut s’empêcher de penser à  l’expérience de Milgram

Suffit-il de l’autorisation d’une figure d’autorité pour s’adonner à des actes dont on se dirait incapables sous la torture ?

Bref, tout ce petit monde est mûr pour reprendre les exercices de manipulation en aveugle, en continuant à pousser le bouchon. C’est le plan du jour.

Mais d’abord, un peu de mou.

Le « mou » étant donc un être utilisé, « qui perd son statut d’être humain ».

Sauf que cette fois, il va devoir maintenir un regard public.

Tandis que son manipulateur gratifiera son corps d’une intention précise et concrète. Il ne s’agit plus de donner des ordres pour donner des ordres. Si je te manipule, c’est que je veux faire quelque chose de toi.

Le regard public de notre « soumis » devrait renvoyer au spectateur une image de manipulation subie.

Car force est de constater que ce qui nous intéresse en spectacle est souvent, trouble, porteur d’une ambigüité.

D’où l’efficacité scénique de la caresse capillaire qui tourne au scalp violenté. Le geste porte les racines (sic !) d’une montée en puissance, de la caresse au coup. Même si dans le contexte du labo, l’assaut de la veille n’était pas totalement assumé physiquement, il a donné à voir cet instant d’avant la violence, où l’on n’est pas encore dans le trop caractérisé (j’arrache les cheveux) mais plus tout à fait dans la caresse. Un état qui passe principalement par le regard. Immédiatement, le spectateur projette la suite.

Chauffer par friction (ou par vibration)

Il s’agit donc de rentrer, direct, dans le mou du sujet.

Alex est sur Isona, allongée sur le ventre.

Marine est sur Lucien, allongé sur le ventre.

Il ne s’agit pas (encore ?) d’écraser l’autre.

Marine : « Je te fais mal ? »

Lucien : « Non, j’ai des nœuds. »

Attaquer à petits coups de latte

Des coups pas très violents, mais qui laissent entendre un bruit mat récurrent.

Le but n’étant pas (pour l’instant) de faire mal.

Les manipulateurs enchaînent avec le plat des mains.

Pas encore des tapes, mais le stade du massage a été résolument dépassé.

L’idée : « c’est encore agréable, mais si c’était plus, ce serait trop. »

Les « dominants » sont déjà moins précautionneux que le premier jour.

« Mais j’aime pas tellement qu’on me tape, hein »,  rappelle Isona.

Alex la détend d’une anecdote : « Un jour, un type qui m’avait pris en auto-stop m’a dit : dans la vie, vaut mieux faire le boucher que le veau. »

Isona renchérit : « Un jour un gars que je connaissais pas m’a dit : je suis intéressant à court terme. »

On en profite pour accélérer la mesure.

On essaie d’aller plus vite. Un peu trop vite, même.

Mais attention à taper sur une partir charnue.

On ne voudrait pas tomber sur un os.

Ce qui amène à s’interroger sur les zones où je peux donner un coup. Ou faire croire que je donne un coup, sans que ça fasse mal.

On pense à des tas de massages, qui font du bien, mais qui font mal aussi.

On pense à Mirbeau (escale bibliographique) et son  « Jardin des supplices », où un voyageur découvre en Chine le raffinement des pires inventions.

Tenter de lui passer sous le corps et autres ruses.

Du bon plaisir du dominant condamné à la créativité.

Enchaîner diverses manipulations du « mou ».

Oeuvrer de façon un peu trop rapide pour que ce soit confortable pour lui.

Fonctionner par affinités : ça me plait, je refais.

Ca me plait pas, je passe à autre chose.

Passer sous le corps de l’autre, essayer de le mettre debout…

La tentative a à priori le don d’énerver.

Un corps de « mou » ne se laisse pas déplacer impunément.

De quoi tester les limites de patience du manipulateur.

Alex laisse tomber un large coussin sur Isona. Le lui place en travers de la tête.  la tête. Marine essaie de croiser les mains de Lucien sur son ventre, lui replie les genoux, le fait tourner sur le côté… Et elle en sue.

Marine : « c’est un enfer, hein ? »

Alex : « Surtout avec quelqu’un qui est quand même plus lourd que toi.

Profite de l’enfer. »

Marionnette humaine, le retour de la revanche.

Alex attrape Isona plus ou moins dans ses bras, l’assied sur un fauteuil. Lui ouvre les yeux genre poupée à l’ancienne, essaie de lui redresser la tête, de la faire jouer avec un coussin… Il la tient ensuite devant lui, essayant de la faire marcher. Elle a la tête qui tombe, il est forcé de lui ramener chaque jambe… Il redouble d’efforts palpables. Il la pose sur le fauteuil mou (de mousse) sur lequel Marine est en train de lutter avec Lucien, fait volontairement taper sa main contre le siège très passablement praticable…

Le mou est particulièrement lourd. Il ne coopère pas.

C’est d’ailleurs une stratégie des plus efficaces pour des manifestants qui veulent éviter de se faire évacuer pas les forces (sic) de l’ordre (re-sic).

Ce qui peut inverser le rapport dominant/dominé.

Notamment quand le regard s’en mêle. Et qu’il se teinte de malice.

« Rien de plus énervant que quelqu’un qui rit quand tu es sérieux avec ton objectif. »

Lucien plie Marine dans tous les sens. Il essaie de la relever en l’attrapant sous les aisselles, sans succès. Elle se laisse retomber, genoux en canard. Alors qu’elle donne à Lucien du fil à retordre, elle laisse échapper un rire un peu sardonique. Il parvient à l’installer dans un fauteuil de mousse, lui fais faire des espèces d’abdos. Rajoute la parole au geste : « Je la muscle un peu, parce que, bon… ». Il finit par la prendre sur son dos (façon sac à patates), et la coller contre le mur.

Indication d’Alex à Lucien : « De temps en temps, tu l’abandonnes. Chaque fois que ça foire. Et tu vas te défouler (ailleurs que sur elle), en tapant dans un coussin. Tu as de moins en moins de temps pour accomplir tes actions. Garde cette position, garde-la debout. Quand c’est trop pour toi, tu t’arrêtes et tu laisse tomber. »

La force du circassien ne lui est pas d’un grand secours.

Il souffle comme un bœuf chargé de porter un âne mort. On ne rit plus.

Debrief après la bataille.

Marine : « Comme on a le pouvoir quand on est mou ! »

Le jeu qui consiste à exercer un pouvoir sur une personne molle se retourne systématiquement contre le manipulateur. C’est pour lui que c’est violent : c’est lui qui fait l’effort.

On pense à la violence de l’indifférence.

C’est l’histoire du vide, ou de ce qui est en creux.

Lorsqu’il y a surenchère (dès que c’est du +), ça se gère.

Lorsqu’on enlève (dès que c’est du -), ça échappe.

Pour Isona, le moment le plus insupportable a été de passer sous le corps d’un Alex allongé en toute mollesse. Alex avoue avoir un peu triché pour l’empêcher de partir, et se faire plus lourd qu’il n’est. Il propose de réessayer.

Pour Isona, la situation est cauchemardesque.

Elle est coincée, impuissante.

D’autant qu’elle a la sensation d’avoir affaire à un handicapé.

« Tu peux pas lui faire mal et c’est pénible ».

C’est tout le paradoxe du rapport mou-manipulateur.

Le manipulateur garde tout de même une forme de pouvoir sur sa marionnette humaine. Il peut lui faire prendre des positions improbables, lui mettre ses propres doigts dans le nez, et autres joyeuseries.

« En même temps, tu as un pouvoir, et tu peux pas vraiment l’utiliser. Parce que t’as pas le droit. Ou alors vraiment ce serait très violent. Nous en tous cas, en tant que personnes, on ne peut pas violenter quelqu’un de mou.

« Après ce rapport d’handicapé change avec le regard, et ce que tu en dis quand tu es mou ». Comment tu en joues, ou pas.

Faire marcher un « aveugle » aux yeux ouverts

Il s’agit de repartir sur la manipulation.

Marcher en duo, en accélérant la cadence. L’un guide, l’autre se laisse faire.

Comme lorsqu’il était « aveugle », mais en gardant les yeux ouverts.

Les guides devront, de préférence anticiper leurs actions.

Quite à prévoir un parcours que le faux aveugle ignore.

Marcher, mais ne pas hésiter à asseoir, coucher, user d’objets…

Pour l’heure, le faux aveugle n’opposera pas de résistance.

Démonstration d’Alex sur Lucien.

« Si je te fais avancer, t’avances.

Mais de la même manière que là, je te fais avancer encore relativement gentiment, je vais essayer de voir jusqu’où je peux aller dans l’autorité et la vitesse de mes changements de direction. A partir de quand c’est clair que je suis autoritaire. Je peux commencer doucement, pour aller vers plus de brusquerie, puis redescendre. »

Mission : repérer le premier degré dans la prise d’autorité.

Analyser la sensation du basculement, entre inciter et obliger.

Isona balade Lucien, le fait courir glisser, s’arrêter.

Puis la prendre dans ses bras. Puis reculer alors qu’elle reste dans ses bras.

Elle se suspend à sa taille et le refait marcher. Puis lui monte sur le dos.

Le tire par les cheveux, par le cou…

Marine met une matière de type ficelle capillaire dans la capuche d’Alex.

Les deux filles font faire aux deux gars des batailles d’oreillers.

Marine fait taper Lucien par Alex.

Ca ressemble à une vengeance.

Isona ouvre les bras de Lucien et court pour lui sauter dessus. Brusquement.

Echange de rôles. Alex fait marcher Marine. Arrêter. Un pas de côté. Un pas de l’autre, il la déstabilise. La fait sauter selon le rythme des tapes qu’il lui imprime au bras.

Avec Isona, Lucien n’ose pas trop pousser le bouchon. Avec les autres en général, dit-il. Aucun problème pourtant lorsqu’il s’agit de faire des expériences sur lui-même. « Bizarrement, je peux endurer beaucoup, mais faire subir… »

Il a osé une chose néanmoins, et tapé dans le mille, créant pour Isona une image « super violente ». « Parce que ça dit comment, sous le prétexte de l’amour, on peut se donner tous les droits, faire avec l’autre tout et n’importe quoi. » Il l’a jetée sur le canapé, puis s’est assis à côté d’elle, et a posé une main sur son genou.

Plus tard, le manipulé opposera une micro-forme de résistance, même si elle n’est pas physique, et ce sera encore plus violent.

Isona en a déjà sentie une avec Lucien : « Quand je t’ai mis à quatre pattes, et que je te suis montée dessus, et que je t’ai fait avancer, ya eu un moment où… ! Là j’ai senti une petite résistance. » De l’ordre du réflexe.

Un acte violent par image, plutôt que violent dans la sensation physique.

L’acte violent par image, pour Lucien, se rapportait plutôt à ces moments où il a laissé Isona seule, comme mise au coin.  Elle, n’en a pas vraiment pris ombrage.

Pour que le guide puisse repousser plus loin les limites, il a besoin de savoir qu’une résistance à ses tentatives est possible. L’autre peut dire non.

Alex : Et puis si l’un veut et l’autre résiste, ça creuse l’écart. Alors que si l’autre accepte tout, finalement il résout tout le temps.

Isona : Mais pour les spectateurs, si les deux acceptent, c’est assez écœurant. S’ils commencent à mordre, mordre, mordre, pour le spectateur c’est hyper violent. Parce que c’est lui, le spectateur, qui résiste, et non plus les acteurs.

Faire marcher un (faux) « aveugle » en cherchant le regard public

Un duo, l’un dirige l’autre.

Celui qui est manipulé se débrouille toujours pour regarder le public.

Est-ce que ça peut changer la perception du spectateur ?

Le duo Alex (guide) / Lucien (manipulé) reprend du service. Sous la poigne d’Alex, Lucien marche, s’agenouille, tombe, s’assoit, fait l’otarie, marche à quatre pattes, recule dans un sens, repart dans l’autre… Quand Alex se plante devant lui, Lucien incline la tête pour conserver un regard public. Et quand son manipulateur essaie de l’amener ailleurs, il se raccroche à une paroi. Cette image là est poignante, bavarde. Lucien ne veut pas partir. Je suis spectatrice, il me prend à partie.

Marine : « C’est drôle comme le fait que les deux ne regardent pas dans la même direction crée un conflit, le conflit du coup crée la narration, et la narration fait spectacle. S’il n’y a pas conflit, il n’y a pas histoire

Alex : …d’où cette forme nécessaire de résistance à un endroit ou un autre. »

Isona : « mais le fait de regarder le public, c’est très clownesque.

Alex : Oui. Après il pourrait y avoir une troisième personne sur le plateau. Parce que c’est une chose de dire, « public, tu vois », qui est très clownesque. C’en est une autre, sur une chose violente, d’avoir un témoin sur le plateau.

Ce qui est violent aussi, c’est la non-intervention. »

De fait, le seul regard public crée une forme de résistance.

Parce que le manipulé persiste à ne pas regarder son manipulateur, celui-ci en ressent comme une frustration.

Et puis il y a ce que le manipulé projette. Ce qu’il transmet de ce qu’il subit, de la gravité au sourire intérieur.

Tous s’accordent sur une chose : Il y a quelque chose d’agréable à subir de la sorte. Dans cette situation où celui qui est guidé a le pouvoir.

Si l’on veut l’inverse sur un spectacle, il s’agira de ne pas aller vers la violence. Ou de changer les consignes de regard / positionnement de la victime.

« Empêcher de partir », ou plutôt, « obliger à rester ».

Qu’est ce que vouloir garder un autre qui veut partir ?

Par duos, se prendre dans les bras, serrer fort.

Jusqu’à ce que l’un sature, cherche à se dégager de l’étreinte.

L’autre alors, fait tout pour le garder.

Marine et Isona s’étreignent. La première, Isona essaie de partir. Marine la retient. Lui remet les bras autour de sa taille. Lui tapote dans le dos comme s’il s’agissait d’un enfant.

Ici, Marine semble dominer : elle offre un visage serein, épanoui.

On se dit que si elle avait le regard de la fille qui lutte et s’énerve, ou de la bête aux abois qui craint d’être abandonnée, Isona aurait le pouvoir.

Isona s’en sort par la chatouille.

Un simulacre de geste affectueux lui permet de s’échapper.

Marine reste seule, la main encore en suspension autour du souvenir d’un corps contre le sien. Elle a perdu l’ascendant.

Même tentative sur une chaise, en position assise.

Attitude d’apparence paternaliste, infantilisante.

On pense à des situations vécues au cours de réunion de famille.

On pense à l’efficacité d’une douceur proclamée. A l’invasion de ces proches bien intentionnés. A la grand-tante (remplacez par la mention adéquate), qui te laisse l’illusion de ta liberté, mais ne lâchera pas ta main…

Pas facile, ici, de se mettre artificiellement dans sa position.

Au bout d’un moment, note Marine, ça devient insupportable pour celui qui demande à l’autre de rester…  

Se laisser envahir (mais préserver sa santé mentale)

Alex se fait envahir par Lucien.

Puis Isona lui colle un oreiller dans les bras. Avec un sourire grave et attendri.

Lucien se colle contre son dos. Part, puis revient, lui caresse le visage, les cheveux. Lui donne de grandes tapes sur bras. L’embrasse dans le cou, lui baise la main. Toujours avec le sourire, Isona le couvre de cadeaux, coussins, pierres et autres objets.

Marine est spectatrice, donne quelques consignes. « De plus en plus rapides. Essayez de lui rendre l’accumulation de l’invasion de plus en plus palpable. »

Le duo d’envahisseurs s’accroche, à son tee-shirt, à sa jambe…

« Isona, cherche l’endroit ou ça a l’air d’être insupportable pour lui. »

Isona le trouve, en glissant sous le tee-shirt d’Alex cet amas de ficelle d’inspiration capillaire qu’elle tisse entre deux sessions pour une prochaine performance personnelle.

Alex : « Je suis capable de supporter pendant très longtemps, mon point de rupture est très soudain. A ce moment là, je ne vais pas m’en prendre à l’autre. Je me tire. Tu repousses toujours les limites du supportable. Mais l’intrusion sous les vêtements, c’était trop. »

Pour Alex, l’agacement couvait depuis un certain temps déjà.

A Lucien : « Ca commençait par devenir insupportable que tu me lèches le cou. A un moment donné je me suis dit, ben non, vraiment, j’ai pas envie. Ca enclenche. Et tu ne peux plus être touché ». 

Faire vibrer son organe vocal pour mieux diriger.  

Pour l’après-midi, Marine prend les rênes du labo.

La fine équipe va donner de la voix.

A la pause du midi, on en a appris de belles sur le goût précoce de la metteure en scène pour les jeux pervers de type « Pouilleux massacreur » – où les participants se pincent, quand il ne font pas passer des troupeaux de fourmis ou d’éléphants sur la main du perdant.

Bref. Tous les fantasmes sont permis.

L’échauffement commence zen. Il consistera à activer les résonateurs qui mettent la voix en action. A les rendre disponibles, par tapotements, massages. Haut des côtes. Bas du dos. Ailes du nez. Lobes et pavillons des oreilles. Muscles de la mâchoire. Tempes et arcades sourcilières. Et même le haut du crâne, siège de nos fontanelles d’antan.

Puis, guides et aveugles, manipulateurs, manipulés et autres « mous » sont appelés à laisser sortir les sons qui sont en eux (sans mobiliser les cordes vocales).

Faire le bourdon, pour qu’il (le son) glisse tout seul entre les lèvres (et les chatouille), le faire passer par le nez, le haut du crâne (où ca tire vers les très aigus)…

Ouvrir la bouche pour voir comment le bourdon se sonorise sans effort.

S’amuser à tapoter sur les résonateurs comme si le corps était un instrument à vent.

Tirer dans le mille avec sa voix, ou ficher à l’horizontale, dans une cible choisie sur le mur, une flèche sonore qui vient du ventre (où ça se pose dans les grave), plutôt que de la poitrine. Une cible pour ne pas laisser le son sans adresse, ne pas laisser retomber la voix.

L’appareil est réveillé, on peut reprendre le travail en aveugle (avec voix au châpitre).

Ausculter le paradoxe, ou aboyer des ordres bienveillants (et vice-versa).

On en a tous entendu au moins une fois. Des injonctions positives du type « sois heureux », qui, surtout dites sur une voix mielleuse, laissent comme un arrière-goût fielleux.

Tenter de verser dans ce vice-là.

Assez vite, l’idée de la directive déplaisante donnée d’une voix doucereuse est laissée de côté.

Quand Isona, demande à Elena, s’il lui plait, de se mettre à quatre pattes, de lui lécher les pieds,  d’enlever son pantalon, Elena s’exécute avec un air de « même pas mal ». Elle voit l’ordre pour l’ordre, et relève le défi sans hésiter. Enlever son pantalon ? Pas de soucis, elle a les jambes épilées.

On s’attarde un peu plus sur l’ordre bienveillant proféré sur le ton de la violence.

Lucien s’y essaie sur Alex. « Prend-moi dans tes bras. Masse-moi. Masse-moi. Fais-moi un bisou. Va te reposer. Masse-toi. Masse-toi, j’ai dit. Prend un autre endroit, un endroit plus agréable. Détend toi sur le canapé. Prends une position agréable. Sur le dos. Surélève tes pieds. Enlève ton sweat, t’as chaud. Viens t’asseoir sur mes genoux. Profite, profite. Tu peux danser. Léger. Léger. »

Là aussi, dans le contexte laboratoire, les indications sont exécutés sans peine par un Alex que le processus n’atteint pas. « J’absorbe les ordres, et ne renvoie rien. Ca l’épuise assez vite. » Rien à voir avec l’hyper violence de la prof de danse d’Isona, qui ne cessait de seriner : « Sois belle. Légère. » L’enjeu était autre.

Quelle interactivité cherche-t-on ?

Le seul rapport dominant-dominé devient vite inopérant ici.

D’ou la nécessité de créer un conflit.

C’est ainsi qu’apparaitra Mélusine.

Un léger conflit, ou, des bâtons dans les rouages de Mélusine.

Mélusine, c’est l’héroïne de l’histoire qu’Elena a choisi de dire, tandis qu’on tente de lui faire perdre le fil. En la bombardant de questions sans rapport, par exemple.

« C’est quoi le prénom de ton père ? De quelle couleur est ta culotte ? Donne-moi un complément circonstanciel de temps… »

Il s’agira de la déranger dans sa mission.

« Car tu ne me déranges pas si j’ai à priori rien à faire. »

D’où l’intérêt du jeu à enjeu.

En dépit des dérangements, Elena devra livrer un récit cohérent.

Lucien est sommé de mémoriser ledit récit, pour le reproduire ensuite.

Ou comment agir sur quelqu’un tout en restant attentif.

Du côté du public – des muets comme des « empêcheurs » -, on entend beaucoup mieux les réponses (aux questions intrusives), que l’histoire de Mélusine.

De l’art de changer ou ne pas changer de ton.

Avec ou sans manipulations physiques.

Elena, qui au départ avait un ton d’histoire et un ton pour les réponses réponses, finit par conserver le même ton dans les différents registres. On lui rajoute une contrainte : en sus des questions posées à tort et à travers par Lucien, elle sera physiquement manipulée/déstabilisée par Alex. Il lui pince le nez, la fait tourner, la jette sur un coussin.

En deux tentatives, la progression d’Elena est flagrante.

L’obstinée comédienne tient son récit avec une évidente fluidité, et les dérangements n’y font pas grand chose.

« Avec un peu d’entraînement on pourrait atteindre des niveaux très élevés dans nos capacités à dissocier. »

 « Puisque je la prend en charge physiquement, elle a ça de moins à gérer, remarque Alex. Ce qui devait être un plus (une contrainte supplémentaire), devient presque un moins, finalement. Mais ce serait très différent si je prenais un objet et lui demandais une action ».

Etre dans la réaction… ou dans la réflexion ?

Les questions posées à Elena sollicitent la mémoire superficielle. Aucune concentration particulière exigée. On y répond pour les oublier aussitôt.

Quand on raconte une histoire, on est dans un autre degré de mémoire. Et de concentration.

Pour l’heure (fin du 3e jour), les participants au labo enchaînent sur la réflexion…

***